Pierre Cloutier Entrevue avec Robert Steele: Faire du Québec une nation intelligente (I) et (II)

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Pierre Cloutier
Pierre Cloutier

Entrevue avec Robert Steele

Faire du Québec une nation intelligente (I)

Dans l’ère de l’information

Tribune libre de Vigile dimanche 21 décembre

French version below the line. English version here.

[1] En 1994, alors que je venais d’adhérer au réseau Internet, j’ai compris immédiatement qu’il y avait là une vraie révolution et que les médias traditionnels de masse allaient en prendre pour leur rhume. J’ai écrit une lettre ouverte dans La Presse – c’était alors le seul moyen de s’exprimer publiquement – intitulée : “Plaidoyer pour un Québec intelligent”. À cette époque aussi, alors que je participais à Ottawa à une conférence sur la sécurité et le renseignement à Ottawa- j’ai fait mon mémoire de maîtrise en droit public sur le sujet -, j’ai rencontré Robert Steele, un américain qui venait faire une conférence inédite qui ébranlait les colonnes du temps du monde secret et fermé du renseignement : la gestion des sources ouvertes d’information et leur transformation en renseignement utile à la prise de décision par et pour les citoyens.

[2] J’ai vu immédiatement que tout cela pouvait être utile au Québec, dont le gouvernement péquiste de Jacques Parizeau venait de prendre le pouvoir et que la maîtrise des sources d’information ouverte, non coûteuses et transparentes pouvait être une arme extrêmement précieuse dans le cadre de notre lutte pour l’indépendance nationale, non seulement à des fins offensives – former une nation bien renseignée – mais également défensives par un contre-espionnage efficace contre le gouvernement fédéral, qui exerçait une surveillance quotidienne du mouvement indépendantiste, dont le chef du Parti Québécois a été la première victime de 1949 jusqu’en 1983 et qui avait infiltré le Parti Québécois au plus haut niveau, par la source Q1, nul autre que Claude Morin, le “père de l’étapisme”, qui en 1973 a fait dérailler le train péquiste de sa voie indépendantiste pour l’envoyer sur une voie de garage provincialiste avec le résultat qu’en 2014, ce parti est revenu à la case départ avec 25% des voix (23% en 1970 et 30% en 1973).

[3] J’ai alors fait venir Robert Steele à Québec et proposer au gouvernement de mettre sur pied une Agence de renseignement ouvert, qui avait un double objectif : mettre l’arme du renseignement ouvert entre les mains des citoyens (fonction offensive) et contrer l’espionnage du gouvernement sur le mouvement indépendantiste en territoire québécois. Malheureusement et ce fut la grande déception de ma vie, rien de concret ne fut entrepris et le dossier a pris le bord de la filière Z, appelée communément la “tablette”.

[4] J’ai toutefois poursuivi mes relations avec Robert Steele, qui de son côté, a continué son magnifique travail de sensibilisation se heurtant toutefois à des forces très puissantes que sont les communautés secrètes du renseignement. Robert Steele est un progressiste et un patriote américain, intègre, honnête et dévoué à la cause citoyenne de son pays. Il a écrit plusieurs livres, a donné des centaines de conférences à travers le monde, a formé des dizaines de milliers de militaires au renseignement ouvert, est devenu le réviseur no 1 d’Amazon.com pour les ouvrages dans la catégorie de la non fiction et anime depuis plusieurs années un blogue intitulé Public Intelligence Blog que vous trouverez à cette adresse : http://phibetaiota.net/

[5] Dans cette entrevue que j’ai réalisée avec lui, j’ai voulu savoir comment et pourquoi le Québec devrait devenir une “nation intelligente”. Je vous la livre en 2 parties.

Q – Robert Steele, vous êtes le créateur du concept de « nation intelligente’’ (Smart Nation) que vous avez développé dans un article publié en 1996 dans le « Government Information Quatertly » (USA) intitulé “Création d’une nation intelligente : stratégie des politiques de renseignement et d’information » Le Québec est une nation, reconnue par le Canada, avec une culture distincte, une géographie distincte, et peut-être un avenir distinct, mais qu’est-ce qu’une « nation intelligente » pour vous ?

R – Pour moi, une « nation intelligente » est celle qui maîtrise les flux d’information et de renseignement avec intégrité à tous les niveaux à partir du coin de la rue jusqu’au bureau du Premier ministre. Pour parvenir à une compréhension et à une sagesse à tous les niveaux, la société québécoise toute entière doit être éduquée d’une manière différente qu’elle l’est aujourd’hui. Tous les citoyens québécois devraient savoir comment penser de manière globale, c’est-à-dire qu’ils devraient être en mesure de comprendre toutes les menaces, toutes les politiques et toutes les pressions démographiques et naturelles sur toute décision rendue. Tous les citoyens québécois devraient comprendre ce que j’appelle, moi, « l’économie des coûts véritables réels » – c’est-à-dire le coût réel, par exemple, de l’eau, du pétrole, des toxines, du travail des enfants et l’évasion fiscale qui est inhérent à chaque produit. À titre d’exemple, un hamburger de chez McDonald, coûte en réalité 250 USD$ si vous additionnez tous les coûts qui sont externalisés sur les contribuables et les générations futures. Une nation intelligente intègre l’éducation, le renseignement ouvert comme aide à la prise de décision ainsi que la recherche de telle sorte que la corruption et le gaspillage soient éliminés pour que la société puisse vivre dans la prospérité et que tous puissent en profiter, sans aucune exception.

Voici un autre exemple : le coût réel d’un T-shirt en coton simple :

Eau : 570 gallons (47% irrigation)
 Energie : 8 kWh (machines), de 11 à 29 grammes de carburant
 Émissions : NOx, SO2, CO, CO2, N2O, d’autres composés volatils
 Toxines : 1-3 grammes de pesticides, métaux lourds (colorants)
 Le travail des enfants : 17 pays, 50 cents par jour
 Évasion fiscale – la plupart des entreprises
 Violation des Droits de l’homme – la plupart des entreprises

Q – Pourquoi le Québec devrait-il devenir une « nation intelligente » ?

R – Les gouvernements absents, comme les propriétaires absents, perdent contact avec la réalité sur le terrain. Quelques bonnes que soient leurs intentions, les gouvernements nationaux sont aujourd’hui à la fois incompétents et très coûteux. Ils font des erreurs énormes, en particulier dans des domaines tels que l’énergie et la santé où les forces massives des grandes entreprises privées conspirent pour cacher la vérité et influencer les politiciens faibles. De façon minimale, le Québec doit devenir une « nation intelligente » afin de garder le gouvernement du Canada honnête. À titre d’exemple, dans l’État de New York, le gouverneur a récemment interdit la fracturation hydraulique. Ce que les médias ont omis de signaler, c’est que cette interdiction a été rendue possible grâce à l’acharnement militant d’un seul couple marié, deux avocats, qui sont allés de village en village pour renseigner les conseils municipaux locaux sur les dangers de cette méthode d’exploration. La sagesse et la vérité se propage toujours du bas vers le haut. Les Québécois ne peuvent pas faire confiance au Canada pour bien faire les choses sur les grandes questions ayant des conséquences locales. L’avantage d’être une nation intelligente c’est que la transparence et la vérité sont des concepts juridiques ouverts – ils créent la confiance. J’aime à dire que la vérité à tout prix diminue tous les autres coûts. Ce n’est pas toutefois un concept que tout gouvernement national apprécie aujourd’hui.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

Pierre Cloutier

Entrevue avec Robert Steele

Pour faire du Québec une nation intelligente (2)

Dans l’ère de l’information

Voici la deuxième partie de cette entrevue avec Robert Steele.

Pierre Cloutier

Q – Comment le Québec pourrait-il devenir une nation intelligente ?

Le Québec est déjà une nation et le Québec est déjà « intelligent ». Ce qu’il faut faire ici et maintenant c’est de conceptualiser, puis mettre en œuvre trois approches de base à travers trois plates-formes institutionnelles. Les trois approches globales ou holistiques sont analytiques. Ci-dessous j’identifie une liste de menaces, de politiques publiques et de communautés qui doivent être réunies – avec une économie des coûts véritables réels et une politique de totale transparence.

Menaces globales (pauvreté, maladie, écologie, guerre, troubles sociaux, génocide, atrocités, prolifération des armes, terrorisme, criminalité)

Politiques publiques de base(agriculture, diplomatie, écologie, énergie, famille, santé, immigration, justrice, sécurité, société)

Huit communautés de la société (éducation, société civile – travail et groupes religieux,commerce, gouvernement, application de la loi, médias, sécurité, OSBL)

L’économie des coûts véritables réels est une matière qui devrait être enseignée dans toutes les institutions d’éducation et surtout dans chaque institution d’éducation spécialisée dans l’administration des affaires. Éventuellement, il devrait y avoir dans chaque téléphone cellulaire une application qui permettrait aux citoyens québécois de connaître les coûts véritables d’un produit ou d’un service afin qu’ils cessent d’acheter n’importe quoi à des coûts véritables excessifs.

Il est important, en effet, de noter l’importance du téléphone cellulaire comme un outil pédagogique et un outil de mobilisation. J’imagine le jour où chaque citoyen québécois recevra un téléphone cellulaire à la naissance, gratuitement, avec accès gratuit à Internet et à un réseau d’ordinateurs et de services de communications au Québec, dont un centre national pour l’éducation, le renseignement ouvert et la recherche.
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Le processus d’ingénierie de la transparence globale est une avancée majeure sur la pensée actuelle. Alors qu’IBM et d’autres corporations de ce type parlent de la création de villes intelligentes en connectant les dispositifs existants, elles ignorent complètement le fait que tous ces dispositifs ont été créés au cours de l’ère industrielle, sans égard pour les coûts réels. Melissa Sterry, une futuriste européenne aime à se demander « ce à quoi ressemblerait une ville si elle était conçue par la nature ?” La façon dont nous construisons nos villes et nos routes aujourd’hui est complètement idiot – trop de matériel, mal situé, créant une atmosphère toxique, sans autonomie. En commençant par le domaine de la technologie de l’information et en particulier les télécommunications et les médias de radiodiffusion et surtout par le partage de l’information entre les citoyens et les entreprises, nous devons aller vers la transparence globale (Open Source Everything).

Il y a trois plates-formes institutionnelles qui, je crois, non seulement peuvent faire du Québec la première nation intelligente dans le monde, mais aussi en faire le centre de la civilisation française en Amérique et finalement à travers l’Afrique et peut-être en Europe et jusqu’en Indochine (dans toute la francophonie).

1 – La première est la création d’un Centre québécois d’aide à la décision au niveau national, mais avec un très fort accent sur le soutien aux gouvernements locaux et aux petites entreprises. Pensez à un « cerveau » national dont la tâche est de fournir une réponse documentée véridique et concrète à une question provenant de tous les organismes régionaux ou locaux ou des entreprises afin qu’ils puissent prendre les bonnes décisions dans l’intérêt public.

2 – La seconde est la création d’une École de gouvernance hybride du futur, également au niveau national, mettant l’accent aussi sur l’aide aux gouvernements locaux et aux petites entreprises. Ce serait la première école dans l’histoire du monde moderne à réunir des étudiants et des professionnels de chacune des huit collectivités énumérées ci-dessus, aux niveaux débutant, de mi-carrière ou supérieur. Le programme serait axé sur les coûts réels documentés de chaque produit, de chaque politique, de chaque service ou chaque comportement sociétal et sur l’élaboration de nouveaux moyens de partage de l’information à travers toutes les communautés de façon décloisonnée.

3 – La troisième est la création d’un Institut global de l’information (World Brain Institute) avec 4 éléments principaux : un site Institutglobal.net (incluant le courriel gratuit à vie, un annuaire des experts et l’identification des institutions financières de capital social), un site Institutglobal,edu (comprenant l’enseignement gratuit en ligne, un répertoire d’auteurs et de conseillers experts, les bibliothèques en ligne et un tableau des défis globaux), un site Institutglobal.org (incluant l’identification des écarts dans les connaissances et le savoir, des forums de nouvelles idées, un annuaire des coûts réels, un annuaire des subventions de recherche, un tableau des besoins aux niveaux national, régional et local) et un site Institutglobal.com (comprenant la vielle stratégique, la recherche sur mesure, un bureau d’aide à la recherche et un état à jour de la recherche scientifique).

Je fais remarquer que les deux derniers éléments (.org et .com) créent de la richesse financière pour soutenir les deux éléments publics au sommet. À mon avis, les télécommunications et l’Internet sont les futures bases de la civilisation, et non pas les partis politiques et les gouvernements nationaux. Les communautés locales qui utiliseront les outils d’information seront la force politique – et la force économique et sociale – de l’avenir.

Q. Ce sont des idées inspirantes. Si le Québec fait comme vous le suggérez, quelles sont les implications pour l’avenir du Québec par rapport à l’Arctique, le Canada, les États-Unis, et au reste du monde ?

C’est une très bonne question mais très complexe. Comme vous le savez, j’ai lu et analysé plus de 2 000 livres dans la catégorie de non fiction comme lecteur spécialisé pour Amazon.com. J’ai beaucoup de sujets organisés par liste, dont un sur les phénomènes de sécession, d’indépendance et d’autodétermination des peuples.

Permettez-moi de commencer par « l’artificialité » des frontières provinciales et nationales. La culture et la nature devraient déterminer la ligne des frontières, pas la force militaire ou le diktat politique. La création d’une « nation intelligente » est une façon moderne d’approfondir, de protéger et propager sa culture. Il ne fait aucun doute dans mon esprit, en particulier à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada, que le Québec est une nation indépendante virtuelle aujourd’hui. Maintenant ce qui importe pour ce futur pays, c’est de consolider sa prospérité et de réduire sa vulnérabilité à des décisions imprudentes faites par des gouvernements « étrangers » qui ne sont pas renseignés correctement.* L’arrêt de propositions insensées comme celles de l’exploitation des sables bitumineux et l’utilisation de l’eau propre pour rincer les sables bitumineux de l’Alberta devrait être parmi la plus élevée des priorités du Québec en tant que nation intelligente.

Sur le fond de la question, je dirai ceci : l’’avenir du Québec dépend de la façon dont elle éduquera sa jeunesse et la façon dont il gèrera l’ensemble de ses politiques, y compris l’immigration. La chute d’une nation est la combinaison de l’accroissement du chômage chez les jeunes, la concentration de la richesse et une perte de confiance dans le gouvernement. Il est absolument essentiel que le Québec soit une nation intelligente en mesure de répondre à toutes les menaces, de créer des politiques durables réfléchies à propos de tout, et, finalement, d’assurer à chaque citoyen une vie satisfaisante et qui garantit la paix et la prospérité du Québec. Aujourd’hui, nous pouvons atteindre ces objectifs avec l’information et le renseignement ouvert (aide à la décision) au lieu d’avoir recours à la force militaire. Le Québec n’a pas besoin d’avoir sa propre armée. La police et la gendarmerie, ainsi que des citoyens qui sont armés et entraînés à se mobiliser rapidement (une milice), avec une bonne organisation de contre-espionnage efficace, sera plus que suffisant.

Enfin, il y a la question de la présence du Québec sur la scène mondiale. À mon avis, le Canada va imploser un jour ou l’autre, avec l’Alaska et la Colombie-Britannique et peut-être les territoire du Yukon et du Nord-Ouest, qui vont se regrouper en une seule nation. tandis que l’est du Canada se joindra peut-être au Vermont et au New-Hampshire. La région de la baie d’Hudson, partagée par le Québec, l’Ontario, le Manitoba et le Nunavut, est une future frontière. Comment cette frontière va se développer dépend largement de la volonté du Québec de devenir une « nation intelligente » et d’étendre les avantages d’une « nation intelligente », pour inclure les téléphones cellulaires gratuits, l’accès gratuit à l’Internet, l’éducation gratuite en ligne et l’aide à la décision gratuite pour tous les citoyens et les entreprises. Essayez d’imaginer si tout cela était gratuit et en français. C’est cela une nation intelligente.

* On l’a vu notamment dans la tragédie du Lac Mégantic

Pierre Cloutier

ENGLISH VERSION: ANSWERS 2014 Robert Steele with Pierre Cloutier on Smart Nations and the Future of Quebec

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